Auguste Fivaz, vie et mort d'une société d'agitateurs culturels sur les bords du lac de Neuchâtel


NEUCHATEL. Créé voilà deux ans, le collectif d'artistes disparaîtra ce samedi au terme de l'illumination du lac de Neuchâtel par 680 lanternes flottantes. Rencontre avec un groupe de passionnés qui aiment à surprendre leur public.


Pierre-Emmanuel Buss
Jeudi 24 juillet 2003

Auguste Fivaz aime les gens. Il aime les surprendre, leur offrir d'éphémères instants de rêverie, comme ça, juste pour le plaisir. L'été dernier, il avait illuminé le Jardin anglais de Neuchâtel grâce à plusieurs centaines de lampes en papier, performance intitulée «Jardin de Fivaz». Ce samedi, si le temps le permet, il présentera «Le Lac de Fivaz»: au crépuscule, 680 lanternes flottantes seront mises à l'eau sur le lac de Neuchâtel depuis le quai Ostervald. Poussées par le vent, elles dériveront en formation avant de se disperser peu à peu, comme autant de lucioles dans une nuit d'été.

Bizarrement, pendant les 400 heures de travail qu'a nécessité la confection des lanternes, personne n'a jamais vu le maître des lieux. Et pour cause: Auguste Fivaz, marchand de liqueurs et d'absinthe actif dans le Val-de-Ruz au début du XXe siècle, est décédé depuis de nombreuses années. Et c'est par hasard que son nom est sorti de l'oubli en 2001, grâce à un collectif d'artistes neuchâtelois.

«John Sergneri, à l'origine avec moi de la société Auguste Fivaz, adore fouiner dans les brocantes, explique Dave Brooks. Un jour, il est tombé sur une carte de commande ayant appartenu au marchand de spiritueux. Ça lui a fait tilt.» A cause de la beauté rétro de la carte, tout d'abord. Mais aussi parce que pour John et Dave, de langue maternelle anglaise, Fivaz possède une particularité amusante: à Londres comme à New York, on prononce «Feevah», sans le z, comme dans «You give me feevah (fever)» («tu me donnes de la fièvre»).

Derrière ce clin d'œil se cache un groupe d'amis «passionnés par l'art, l'esthétisme et tout ce qui peut interpeller les gens». «Comme tout le monde, nous aimons nous retrouver entre proches, discuter, boire un verre et nous promener, raconte Dave Brooks. Un jour, installés sur une terrasse, on s'est dit: il ne faut pas seulement parler, mais agir.» Autour de John et Dave se greffent peu à peu François Righi, Anne Monnier et Marco Salmoni, renforcés par leurs cercles d'amis respectifs en cas de besoin. S'enchaînent alors les performances, présentées le plus souvent dans une vitrine de la poste de Neuchâtel. Parmi elles, «Expo.02 Fin par Dr. Schoop», satire à la fois tendre et mordante de l'Exposition nationale.

Suivra la réfection – très réussie – de la fontaine du Vieux-Châtel, proche de leur atelier de la rue Edmond-de-Reynier, réalisée en grande partie par la peintre Anne Monnier. «Depuis, plus personne n'a osé la taguer, souligne François Righi. Après cette expérience, nous avons approché les autorités de la ville pour voir si elles étaient intéressées à financer l'expérience ailleurs. Nous avons reçu un bon accueil, mais, comme souvent, personne n'a mis la main à la poche...»

Contrainte de s'autofinancer, la société Auguste Fivaz déploie des trésors d'ingéniosité pour limiter les coûts. Pour le «Lac de Fivaz», pourtant, elle a reçu l'appui de partenaires privés, qui ont pris en charge 400 des 1000 francs nécessaires à l'achat du matériel. Une première qui pourrait leur donner l'idée de développer le filon pour, un jour, vivre de leur hobby. «Cela serait fantastique, bien sûr, rigole Dave. Mais franchement, on n'y a jamais pensé.»

Si leurs yeux s'illuminent quand on leur parle d'éclairer la Seine ou la Tamise, Dave et François gardent donc les pieds sur terre. Ils préfèrent continuer à privilégier l'absurde dans leur vie de tous les jours plutôt que de s'imaginer riches et célèbres comme Christo, emballeur éphémère du Reichstag de Berlin.

A ce propos, Dave Brooks donne un éclairage intéressant sur l'esprit qui anime les membres de la société Auguste Fivaz: «Nous étions à Paris lors du dernier week-end de l'Expo. Par hasard, nous avons vu une voiture avec des plaques neuchâteloises. Nous avons placé derrière l'essuie-glace une lettre regrettant leur absence à la cérémonie de clôture en signant Nelly et Martin. Depuis, à chaque fois que l'un d'entre nous part en vacances, nous lui envoyons une carte signée du nom des deux anciens directeurs de l'Expo. Imaginer leur tête quand ils lisent ces courriers nous amuse beaucoup.»

Cet humour et cette créativité décalés continueront à agiter les rues de Neuchâtel ces prochaines années. Et ce même si la société Auguste Fivaz sera officiellement dissoute samedi dès que la dernière bougie du «Lac de Fivaz» se sera éteinte. «C'est comme la vie ou l'amitié: ça ne se planifie pas, c'est une question de feeling, confie Dave Brooks. On continuera à créer ensemble ou individuellement, mais sous une autre appellation.» «Mais Auguste viendra parfois nous rendre une petite visite, continue François Righi. Ainsi, l'année prochaine, nous prévoyons de créer une illumination céleste. Je vous le donne en mille: elle pourrait bien s'appeler Ciel de Fivaz.»

En cas de doute sur la tenue du «Lac de Fivaz», tél. samedi au 032 725 34 26.